LES NANTIS DU SAVOIR
LES NANTIS DU
SAVOIR
Un plaidoyer pour l'éducation de tous
Par Rodrigue Adrien
L’Europe est
Co-dépositaire avec les autres continents du savoir global. En cette fin du 21e
siècle, le bilan en termes de réalisations est lourd. Nous avons franchi
presque toutes les étapes menant à la civilisation humaine. De la civilisation
mésopotamienne en passant par la civilisation Égyptienne jusqu’aux
civilisations Grecque et Romaine, le voyage est long pour un esprit aventurier
gourmand et curieux de savoirs et de connaissances. Nous avons extirpé toutes
les gangues du creuset en vue de l’érection de l’érudition occidentale. Si nous
sommes à même d’abreuver aux différentes sources d’où coulent les savoirs
modernes sans risques de nous contaminer aux clichés et dogmes ayant nourri les
âmes dès la Grèce antique jusqu’au moyen-âge, le crédit revient aux
intellectuels et philosophes du 17e siècle jusqu’au 20e
siècle après J.C. Sans ce travail titanesque, nous n’aurions
pas pu déceler le vrai du faux, démêler les fils du bien d’avec ceux du mal.
Nous le devons avant tout aux tenants de l’Aufklärung allemand qui
militaient contre le bureau séquestrant le savoir, formatant les consciences en
vue de réguler, conventionner, stéréotyper le comportement humain. Sans le
travail ardu de Descartes, Spinoza, Kant, Rousseau, Voltaire, Nietzsche, Marx,
Freud, Hegle, Jacques Derrida, Michel Foucault, Sartre et autres, nous serions
encore au stade où Diogène claironnait en plein jour, une lampe aidant, pour
trouver un vrai homme. En effet, le concept d’homme est leur ouvrage. Si nous
sommes à même de parler d’humanisme aujourd’hui, leurs travaux et militances
sont provocateurs. C’est de cette déconstruction de la pensée scolastique qu’a
émergé le monde contemporain véhiculant une nouvelle culture visant à dresser
le nouvel homme pour qu’il soit capable de discours rationnel et cohérent et
d’action concertée.
Nous
sommes aujourd’hui le produit de cette nouvelle culture, nous armant pour la
déconstruction des idoles, des clichés et des mythes abyssant l’esprit aux
confins de l’inhumanité. Les humanistes nous ont légué une vision globale et
cohérente du monde de laquelle nous pouvons calquer notre propre paradigme.
Dans cet agrégat d’idées, dans cette agglomération de comportement, nous
pouvons extraire notre propre forme de pensée sans risque aucun de nous
confondre dans la nouvelle mosaïque mondiale. L’idée se calque du donné
universel schématisant l’esprit pour qu’il soit capable du vrai, du nouveau et
de l’authentique. Nous sourçons tous du même socle, la variation n’advient que
de l’exigence d’adaptation à notre milieu en vue de construire un nouvel
édifice protecteur de nouveaux spectres provenant de l’environnement dont on
cherche à dépolluer et à dépolariser. En fait, chez soi tout le monde se dote
d’une fenêtre pour s’ouvrir au monde afin de le repenser et d’une clôture
identitaire où se prémunir contre les réactions épidermiques et allergiques. De
là, s’accentue et s’accélère un processus de singularisation, de normalisation
et sélection des idées constructrices de la pyramide d’un savoir libérateur des
dogmes enregistrés, des clichés amalgamés risquant de fissurer l’esprit
gourmant de la clarté et de l’évidence
dans tout ce que l’homme, pour renaître de la civilisation génitrice du savoir
a accumulé. C’est en se vidant de la charge civilisationnelle qu’’on se
renouvelle l’énergie créatrice, qu’on se charge d’une nouvelle gnose
purificatrice des débris accumulés tout au long du processus de formatage par
le système pour mieux intégrer le monde .En ce sens, l’éducation première
s’avère un atout, voire des lunettes pour regarder le monde avant d’oser le
dévisager pour le déconstruire et l’humaniser.
L’éducation
est propédeutique à notre initiation au monde en vue de l’adaptation et
l’orientation vers la convivialité. Les dogmes, clichés, codes et symboles sont
constitutifs d’un prérequis pour intégrer le monde avant de pouvoir prétendre à
le déconstruire pour mieux le fonder et le consolider. En ce sens, la
transmission du savoir est axiologique de l’orientation qu’on se donne en vue
d’un détour récapitulateur de notre parcours pour mieux nous canaliser dans le
chemin qu’on trace en marchant. L’éduquer est celui s’étant ouvert au monde en
vue d’explorer et d’apprendre tout ce qu’il y a à comprendre la structure
structurante avant de la déconstruire pour avoir une singularité, voire une
originalité vidée tous carcans et choix imposé pour s’uniformiser et être comptés
du rang des tenants du savoir.
Le savoir
est un ensemble de valeurs, de codes, de signes, de symboles et de clichés
élaborés par une intelligentsia en vue de la communication, la proximité, la
coexistence et la convivialité. Ce sont des préceptes conventionnés par un
groupuscule pour l’universalisation et la valorisation des donnés en vue du bon
fonctionnement et de la bonne interaction des individus dans la communauté.
D’où il suit que l’individu étant exclu à ce type d’enseignement, est à fortiori
démounisé, zombifié, abêti, voire même annihilé. Dans ce même ordre d’idées,
nul ne doit s’étonner de voir le résultat d’une société se livrant à la
pratique ancienne de la séquestration du savoir différent de celui prisé par la
minorité le pratiquant à dessein. D’où la révision de la formule mise en avant
pour justifier le retard des pays du sud par rapport aux pays ayant joui des
privilèges d’industrialisation dès l’aube du 19e siècle.
Le
processus de normalisation de la condition des pays du sud par l’éducation
remonte aux années de 1940, date où ils commencent à se réveiller et se
révolter en vue de la reconquête de leurs indépendances et autonomies.
En Haïti
l’éducation n’a été normalisée dans les grandes villes que dans les années
quarante et cinquante. D’où il appert impossible et même anachronique d’arguer
l’indépendance conquise depuis 1804 pour signifier notre retard par rapport aux
pays occidentaux. Le nivelage par rapport aux autres doit se faire à partir des
années où l’on commence à monter des structures universitaires en vue de la
planification du développement et de la normalisation des droits en Haïti.
Nous
tenons donc pour vrai que les illettrés ou, en d’autres termes, les non
scolarisés, n’ont pas une dimension humaine moindre que les esclavagisés. Car
le distinguo entre barbare et civilisé c’est que l’un est nanti de tous les
outils le conditionnant à évoluer au même niveau que quiconque ailleurs et
l’autre exclu à l’utilisation des schèmes de pensées et des clichés le
permettant de s’insérer dans le monde moderne.
Il s’en
suit donc que l’homme d’aujourd’hui, ne pouvant pas se scolariser pour intégrer
la structure construite par le système pour surveiller et punir, se ravale
indubitablement au même niveau que des esclaves de la colonie de Saint-Domingue
ou ceux de l’Egypte des pharaons, ou du moins ceux de la Grèce antique
sous-Périclès et la Rome antique au temps des César.
A vrai
dire, une société où l’éducation est un luxe réservé aux nantis de la haute
bourgeoisie et de la classe moyenne, cette société est vouée à sa perte du
point de vue humain. Car, l’éducation est vectrice d’humanité, de dignité et
d’identité par excellence. La thèse d’Ivan Illich autour d’une société sans
école est encore valable et mérite donc d’être agitée et appréciée à sa juste
valeur de manière à équilibrer les rapports humains et à adapter la société
haïtienne et celle des pays du sud à l’ère de la modernité.
Rodrigue ADRIEN
Illustrations: HCN
Biographie de l’auteur :
Le professeur
Rodrigue ADRIEN est né le 15 septembre à Corail. Il est père de famille et
président du Combite 33, une organisation à vocation sociale, culturelle,
politique, économique et diplomatique. Son champ d’études est la philosophie
politique, la Diplomatie et la Géopolitique. C’est un amateur de l’art
contemporain, un passionné de sport et de littérature, un observateur de la
marche du monde, le penseur de l’autre monde. Il a déjà publié « Espace
des Idées » entre 1994 et 1997, une revue de littérature et de philosophie
laissant transparaitre l’état d’âme de l’homme du Sud a la fin du 20e
siècle. Présentement, il s’attèle à la construction du combitisme et la pensée
du sud.
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