HISTOIRE: Mirage électrique: Le cas de Jacmel au 19 ème siècle
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Par Myrtha Gilbert
Fè wè pa dire
Pwovèb
ayisyen
Introduction
1- Jacmel au 19 ème siècle
Jacmel était une ville portuaire, comme la plupart des
villes importantes de notre pays. Elle recevait des bateaux de grandes lignes
Transatlantiques.
Dans l’intéressant ouvrage : Jacmel et sa
contribution à l’histoire d’Haïti, sous la direction de JEAN Elie Gilles, plusieurs
auteurs font état de la prospérité de Jacmel
au 19ème siècle et au début du vingtième siècle. Il y est question d’une
« bourgeoisie éclairée,
exceptionnellement douée pour le
commerce… »[2]
Il est noté combien les portails servaient de point de réception de la
production de l’arrière-pays. « C’est
vers Jacmel que cette brave métropole (Bainet) expédiait son café, son cacao et
autres produits agricoles… »[3]
Par ailleurs, Pendant longtemps, Le Portail La
Gosseline « fut un endroit très
florissant… La spéculation en denrées était… la principale activité de ses
habitants. Le café dégringolait des montagnes de la Voûte, de Marbial, de Fond
Melon… et on pouvait compter un nombre imposant de bourgeois cossus… ».
[4]
Naturellement, rien n’est dit des conditions de vie de
ceux-là qui produisaient vivres et denrées, ni de la manière dont s’opérait
cette dégringolade du café et autres produits agricoles. A pied, à dos
d’âne, à cheval, en camion ? L’état des routes, si à l’époque on pouvait
parler de routes ? Quelle importance ! Pourvu que les précieux grains
arrivent à Jacmel. Ah ! Invisibles producteurs des mornes, mais
combien indispensables !!!
Pourtant Chiristian Giraud, spécialiste de la question
du café en Haïti écrivait près d’un
siècle plus tard : « L’assiette
économique du pays est fondé sur ses campagnes… Les productions agricoles
–denrées pour l’exportation et vivres pour la consommation nationale-
représentent l’essentiel de la richesse. Les villes installées sur la côte
reprennent leur fonction coloniale avec quelques variantes… »[5]
Et comme apparemment, la ville à l’époque ne
produisait presque rien (assumant sa fonction coloniale) :
« Les
navires étrangers déversaient dans notre port, toutes les provisions
alimentaires, tissus et autres produits manufacturés… et repartaient lourds de
notre café » [6] Ainsi
donc, le commerce du café « a
modelé la ville » et a permis la construction de « grandes et belles maisons de spéculateurs
cossus ». Comme ce fut le cas de Saint Paulin, le père d’Alcius Charmant
et de beaucoup d’autres.
2- Le député Alcius Charmant amène l’Electricité à Jacmel
Quand en décembre 1895, la ville de Jacmel initia son
électrification, le député de la ville Alcius Charmant, à l’origine de cette
initiative, voulait précisément que les foyers, qui étaient ceux des grands
commerçants et des spéculateurs (les bourgeois cossus), la Cathédrale Saint
Jacques et Saint Philippe et les quelques rues de la ville, pussent jouir des
bienfaits de l’électricité. La modernité quoi ! Alcius a dû se frotter les
mains. D’ailleurs, il est dit que sa recommandation expresse à l’entreprise
française, exigeât que cet éclairage fût en tout point pareil à celui qui était
installé à Paris. [7] A
remarquer que, Alcius fit le déplacement en personne, afin de contacter les
fournisseurs français et s’assurer que la commande respectât les spécifications
exigées.
3- brèves notes sur l’éclairage à Paris
L’Histoire de l’éclairage en France, à Paris
notamment, est tout autre et le cheminement a été long. Les recherches furent
nombreuses et les applications se firent étapes par étapes, suivant les
difficultés rencontrées, les succès des recherches, les besoins exprimés, les
coûts d’exploitation et la capacité réelle de l’implémentation. A noter que la
matière première indispensable à l’éclairage était produite dans les usines
françaises. « A Paris, le gaz était
produit dans les manufactures »[8]
De sorte que pour une ville comme Paris, les premières recherches ont abouti à
l’éclairage à l’huile de « tripes »[9]
puis de colza. Remplacé plus tard par le gaz jusqu’au début du vingtième
siècle. Il y avait donc une armée d’allumeurs de lanternes pour s’occuper de
l’éclairage de la ville et maintenir propres les verres des lanternes.
L’éclairage électrique fera ses premiers essais à Paris en 1879. Jusqu’au 20
éme siècle on trouve encore des
allumeurs de réverbères à gaz.
4- Et la lumière fut
En effet, le premier test fut un succès. La Cathédrale
Saint-Jacques et St Philippe fut illuminée à l’occasion de la Noël de l’année
1895. Dès janvier 1896, le réseau électrique communal comptait déjà plus de 300
abonnés. [10]
C’est ainsi que de génération en génération, on répète avec orgueil que Jacmel fut la première ville d’Haïti à être électrifiée. Presque personne n’a cherché a savoir le pourquoi et le comment de l’histoire, encore moins sa fin malheureuse.
Saint Paulin, le père d’Alcius s’était enrichi au fil
des ans, grâce au café, depuis les années 1860-1870. Il était un gros
spéculateur. Aussi put-il envoyer son fils faire ses études en France comme
c’était la mode pour la majorité des fils de nantis. Quoique brillant, Alcius
ne les termina pas à cause de son tempérament de feu, où il y avait beaucoup du
justicier. Il retourna en Haïti pour dit-il « travailler
avec ses concitoyens au bonheur et à la gloire de notre chère Haïti ».[11]
En peu de mots, Alcius se tournait vers la politique.
Député sous le régime de Florvil Hyppolite, il lutta
pour obtenir du gouvernement en 1891, un contrat pour l’éclairage de la ville
de Jacmel.
« Par ce
contrat, l’Etat fournissait le matériel complet et le terrain pour
l’installation de l’usine, c’est-à-dire l’essentiel…Il exonérait le
concessionnaire des droits… de douane : machines, appareils, câbles,
lampadaires, pylônes, combustible, tout entrait en franchise… l’Etat
garantissait une subvention annuelle de US 51 000= payable par douzième pendant
trente années consécutives, à partir de la mise en train définitive de ce
service ».[12]
Selon ce que
nous rapporte le Dr Rodolphe Charmant, fils d’Alcius, « il y eut sous Hyppolite en 1890, 1891, 1892, une danse de contrats
dans les chambres… Ces contrats intéressaient sans doute, de grands travaux
publics utiles et nécessaires… Mais ils ont tous été des occasions de pillage
officiel de la caisse publique. Témoin celui de l’éclairage de la ville de
Jacmel ».[13]
Le 5 novembre 1892, le contrat pour l’éclairage de la
ville fut signé par le général Saint Martin Dupuy, Secrétaire d’Etat de
l’Intérieur et de la Police. Etonnant contrat qui dit ceci :
« Article
1er- Le Gouvernement d’Haïti concède à Monsieur Alcius pour lui, ses héritiers et ayants-droits,
l’éclairage de la ville de Jacmel, pour une période de trente années
entières… »
Le contrat fut sanctionné par le parlement en décembre
1893. Le gouvernement haïtien remit à Alcius 40 000 dollars. Il devait apporter
ce qui manquait pour la construction de l’usine.
Dynamique et créatif, Alcius Charmant sut respecter le
délai prévu au contrat. Il a pu compter il est vrai sur le concours financier
(à titre privé) notamment de Calisthène Fouchard, ministre des finances du gouvernement.
Des ingénieurs français furent engagés et pour la
construction de l’usine et pour son administration. Les installations de
l’usine électrique étaient des plus modernes et de toute beauté. Elles
détonnaient il est vrai avec l’état piteux de la ville, dépourvue de service
d’hygiène et de voirie. Petite ville d’environ 3000 habitants où à l’époque,
toutes les bêtes à cornes et à poils gambadaient joyeusement parmi les humains.[14]
5- Changement de bénéficiaire et …la lumière s’en fut
Suite à l’inauguration grandiose d’une œuvre aussi
prestigieuse et si prometteuse financièrement selon certains, Calisthène
Fouchard racheta pour 40 000 dollars cash, les droits de concessionnaire. Cette
usine paraissait devoir connaitre un avenir florissant. Il faut dire que ce
genre de transactions était une pratique courante de l’époque. Les députés,
sénateurs et autres proches du pouvoir bénéficiaires de contrats, cédaient
souvent à un tiers fortuné leurs droits contre espèces sonnantes et
trébuchantes bien entendu.
Huit mois plus tard, un incendie détruisit la ville. L’usine ne fut pas touchée. Il n’y eut que des dégâts mineurs : câbles et lampadaires brûlés. Mais malgré tout, la question de l’éclairage qui avait coûté tant d’argent à l’Etat Haïtien, ne dura que l’espace d’un cillement. Le gouvernement se désengagea en dépit des protestations du nouveau concessionnaire M. Fouchard. L’allocation prévue fut annulée malgré le fait que l’usine était en état de fonctionner. Le grand profiteur fut en réalité Alcius Charmant qui, 40 000 dollars en poche, s’en alla en vacances en France.
Ainsi, cette centrale électrique, toute neuve et non
endommagée fut abandonnée, en dépit des débours importants consentis par
l’Etat. Aucune grosse fortune, aucun spéculateur cossu, aucun élu du peuple ne
se sentit concerné par son sort. Alcius ne leva pas non plus le petit doigt
pour sauver son œuvre.
En Haïti malheureusement, les élites pour la plupart
tombent en admiration pour de « splendides résultats » à l’étranger,
sans trop s’inquiéter, des longues et pénibles étapes ayant conduit à de tels
succès, encore moins des voies et moyens pour
y arriver et de manière durable.
Ils agissent comme des enfants émerveillés devant un
joujou brillant. Ce fut le cas pour l’électricité à Jamel en 1895, La cité de
l’Exposition du bi-centenaire et Belladère en 1949 et tant d’autres projets
éphémères du même genre des pouvoirs successifs. Les nantis haïtiens et
leurs serviteurs demeurent des adeptes du saupoudrage et du simulacre.
Il en sera ainsi, jusqu’à ce que le peuple
revendicatif haïtien siffle la fin du match.
Myrtha Gilbert
8 mai 2021
______________________________
[1] JN ELIE GILLES, Jacmel et sa
contribution à l’histoire d’Haïti ; première partie, Editions des
Antilles, 1993
[2] idem
[3] idem
[4] Idem
[5] Christian Girault, Le commerce du café en Haïti, Habitants,
spéculateurs et exportateurs. Editions du Centre National de la Recherche
scientifique, Paris, France ; 1982
[6] Jean Elie Gilles, op cit
[7] idem
[8] HISTOIRE DE L’ECLAIRAGE PUBLIQUE A PARIS, megedoudeau.jmbertho.odns.fr
[9] HUILE PREPAREE A PARTIR DES RESTES DE VEAUX ET DE MOUTONS
[10] Jean Elie Gilles, op cit
[11] DR Rodolphe Charmant , LA VIE INCROYABLE D’ALCIUS. COLLESTION Du
Bicentenaire 1804-2004 (Fardin)
[12] idem
[13] idem
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