Histoire: Massacre des haïtiens par les dominicains (Oct. 1937)
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Vous pouvez traduire cet article dans la langue de votre choix dans la case de sélectionA la mémoire des victimes des Vêpres dominicaines du 3 au 15 octobre 1937.
Louis J. Auguste, MD, MPH
Le 3 octobre 2023 ramène le 76eme anniversaire du massacre des Haïtiens sur la frontière haïtiano-dominicaine par l’armée dominicaine, sous les ordres du dictateur Rafael Leonidas Trujillo. En deux semaines, entre 15 et 30,000 Haitiens, selon les sources, furent décapités, pendus ou tués par balles, pendant que des milliers d’autres s’échappaient avec des blessures sévères ou ont du s’enfuir laissant tout ce qu’ils avaient accumulé au fruit de leur labeur. 2007 a marqué le centenaire de Jacques Roumain, le centenaire de la naissance des présidents François Duvalier et Paul Eugène Magloire. Des cérémonies seront organisées pour commémorer leurs accomplissements, mais je me demande qui pensera aux victimes de ce triste événement connu sous le nom de « Vêpres dominicaines. » Combien de nos quotidiens ou hebdomadaires, combien de nos animateurs d’émissions radiodiffusées ou télévisées rappelleront à la nation le sort de ces malheureux concitoyens ? Combien de nous aurons une petite pensée à leur mémoire ?
Beaucoup de nos concitoyens y verront l’opportunité de blâmer l’incompétence et l’incurie de nos leaders
politiques. Certes, je ne saurais ne pas le reconnaître. Cependant, l’origine de ce conflit ne peut échoir uniquement sur les épaules des Haïtiens. Il faut remonter à 1697 quand à la signature du Traité
de Ryswick, l’Espagne concéda à la France le tiers occidental de l’île de Saint-Domingue ou Hispaniola.
La ligne tracée lors devait définir les limites orientales de la république haïtienne créée en 1804.
Cependant, cette frontière, au cours de plus de trois cents ans d’existence a été modifiée plus d’une fois,
non seulement officiellement, mais aussi de facto, en fonction des conflits militaires dont les deux pays
ont été la scène, quand par exemple, Toussaint Louverture s’est battu à tour de rôle sous le pavillon
français, puis espagnol et enfin de compte encore sous le pavillon français, réarrangeant à plusieurs
reprises le territoire contrôlé par les Français. Finalement, la population des zones frontalières, à
l’instar de la population de l’Alsace et de la Lorraine entre la France et l’Allemagne devait voir
encore changer leur nationalité quand Boyer à l’invitation des Dominicains eux-mêmes prit possession
de toute l’île, jusqu'à l’expulsion des armées haïtiennes sous le gouvernement de Faustin Soulouque.
Peu informés et à la fois peu soucieux des changements incessants dans les deux capitales qui se partagent l’hégémonie de l’Ile, les habitants de la zone frontalière s’accrochaient à leur lopin de terre
qu’ils avaient occupé depuis déjà plusieurs siècles.
Les deux premières décennies du XX ème siècle virent l’occupation des deux pays voisins par les Etats-Unis d’Amérique. Au terme de cette double occupation, le Président Calvin Coolidge exhorta les deux nations à résoudre leur dispute frontalière. En grande partie, le tracé de 1697 fut accepté avec la différence que Haïti devait céder une bande de terre au nord et la Dominicaine une bande au sud pour la construction d’une autoroute frontalière. Ainsi des centaines de familles haïtiennes se trouvaient tout d’un coup sur le territoire dominicain, sans qu’aucun dédommagement ne leur fût versé et apparemment sans qu’aucun émissaire du gouvernement se soit soucié de les informer de leur nouvelle nationalité. En fin de compte, avec la disparition des aînés et l’arrivée des nouvelles générations intégrées par la langue, les coutumes et le système d’éducation, le problème aurait pu se résoudre spontanément et à la longue.
Cependant, c’était sans compter avec le facteur de race. Car les Dominicains ne voulaient absolument pas
de ces paysans haïtiens en majorité peu métissés et donc de complexion noire. En effet, alors que les
Haïtiens de par la Constitution de 1805 se décrétaient une nation noire et offraient la nationalité haïtienne
à tout individu d’origine africaine, les Dominicains ont toujours renoncé à la contribution africaine de
leur héritage. Le dictateur Trujillo lui-même partiellement d’origine haïtienne de par sa grand-mère
honnissait le simple fait d’y penser. Il gardait soigneusement parmi ses articles de toilettes un
coffret de maquillage qui lui permettait de faire pâlir son teint.
Durant les préambules de la Deuxième guerre mondiale, il s’empressa d’inviter les juifs persécutés en
Europe à trouver asile chez lui, avec l’idée que cet apport de sang caucasien pourrait aider à blanchir
davantage la population dominicaine.
Le troisième volet du triptyque est d’ordre économique. Pendant l’occupation américaine, les
industriels américains investirent beaucoup plus dans l’économie dominicaine qu’ils ne firent en Haïti.
Sans doute, il y a eu la HASCO, mais ils construisirent plusieurs usines sucrières notamment
dans la région de la Samana. Pour se procurer une main d’œuvre à bon marché, ils sollicitèrent l’envoi
de paysans haïtiens dans l’autre partie de l’île. A ce moment-là, l’industrie sucrière prospérait et les
industriels dominicains virent l’occasion d’exploiter la main d’œuvre haïtienne aussi à leur profit.
Cependant, c’était sans compter avec la chute de la bourse de New York en 1929. Le prix de la livre de
sucre tomba vertigineusement et désormais cette main d’œuvre devait rivaliser avec les ouvriers dominicains pour les emplois. Maintenant, les Haïtiens au lieu de représenter une occasion pour les Dominicains de s’enrichir devenait un problème. En fait, depuis lors, nous voyons dans les discours des officiels dominicains une nouvelle expression. Le problème haïtien ! Il faut résoudre le problème haïtien.
Quelle occasion pour n’importe quel politicien convoitant un poste de gouvernement de gagner des
votes ! Trujillo toujours en quête de se faire accepter de la bourgeoisie dominicaine y vit l’opportunité d’asseoir sa popularité. Prétextant que les Haïtiens sur la frontière volaient le bétail des rancheros dominicains, il décida tout comme son idole le Führer allemand allait faire des juifs, de mettre
fin au problème haïtien. Pendant l’été de 1937, il entama une campagne de démonisation des Haïtiens et
mit sur place un plan sordide pour maximiser les pertes de vie haïtiennes, tout en donnant le change et
prétendant que c’était une réaction spontanée de la paysannerie dominicaine. Les soldats chargés de ce
travail reçurent des instructions strictes d’éviter d’utiliser leurs armes à feu ou leurs baïonnettes et
de couper les têtes de préférence à la machette. Les premières têtes commencèrent à rouler le 3 octobre
1937. Bien sûr, les masses dominicaines participèrent et comme des hordes de loups assoiffés de sang, ils poursuivirent les Haïtiens partout où ils se réfugièrent. La petite histoire nous dit que le test de nationalité consistait simplement à demander à un individu de prononcer le mot espagnol « perejil » qui veut dire persil. Si l’individu n’était pas à même de rouler le « r » comme un Dominicain, la peine de mort lui était octroyée ipso facto. En fait, le massacre atteint une dimension bien au-delà de la nationalité. Le dictateur voulait purger son pays du sang noir, et de nombreux Dominicains de couleur noir furent exterminés aussi. Il n’était même pas question de les renvoyer en Haïti, puisque ceux qui s’enfuyaient vers la frontière étaient fauchés par les balles des soldats dominicains, encore même qu’ils essayaient de franchir la rivière du Massacre, qui entre parenthèses tient son nom d’un autre massacre, au temps de la colonisation francaise et espagnole.
Les horreurs de ces deux semaines ont été bien capturées dans le roman de l’écrivain haïtien Edwige
Danticat intitulé « The Farming of Bones. » Dans la préparation de ce roman, Mme Danticat passa plusieurs semaines sur la frontière haitiano-dominicaine à interviewer les survivants de cet enfer. Leurs
témoignages lui ont permis de reconstruire les péripéties vécues par nos compatriotes. Elle met le
récit suivant dans la bouche d’un de ses personnages : « … Now the others circled Yves and me… (We) were lifted by a mattress of hands and carried along next to Tibon’s body… The young toughs waved parsley sprigs in front of our faces.
- Tell us what this is, one said. Que diga perejil !
… Yves and I were shoved down onto our knees. Our jaws were pried open and parsley stuffed into our
mouths. My eyes watering, I chewed and swallowed as quickly as I could, but not nearly as fast as they
were forcing the handfuls into my mouth…
Yves fell headfirst, coughing and choking. His face was buried in a puddle of green spew. He was not moving… A few more people were lined up next to us to have handfuls of parsley stuffed down their throats… I coughed and sprayed the chewed parsley on the ground, feeling a foot pound on the middle of my back. Someone threw a fist-sized rock, which bruised my lip and my left cheek… A sharp blow to my side nearly stopped my breath. The pain was like a stab from a knife or an ice pick… Rolling myself into a ball, I tried to get away, from the worst of the kicking horde. I screamed, thinking that I was going
to die… What was the use of fighting? »
Traduction non-officielle: « …Maintenant, les autres nous entouraient, Yves et moi… Nous fumes soulevés par un matelas fait de mains humaines pour être déposés à côté du corps inanimé de Tibon… Les petits vagabonds agitaient devant nous des branches de persil en répétant:
- Dites-nous comment cela s’appelle! Dites « perejil! » Yves et moi fumes jetés sur nos genoux. Ils nous forcèrent à ouvrir grandes nos mâchoires et les remplirent de persil. Les larmes aux yeux, je me mis à mâcher et à avaler aussi vite que je pouvais, mais je n’arrivais pas au rythme qu’ils forçaient le persil dans ma bouche.
.. Yves toussant sans arrêt et à demi asphyxié tomba la face contre terre, atterrissant dans sa vomissure
verdâtre… Il ne bougeait plus… Ils alignèrent d’autres Haïtiens à nos côtés pour continuer à leur fourrer
des poignées de persil dans la gorge… Je me mis à tousser à mon tour et expulsai en un jet le
persil mâché, au même moment que je recevais un coup de pied au milieu de mon dos. Quelqu’un lança contre moi une pierre aussi grosse qu’un poing qui m’attrapa aux lèvres et à la joue gauche.. Un coup sec
aux côtes me coupa presque le souffle. La douleur était comme celle d’un coup de couteau ou d’un
pic à glace. Me pliant en boule, j’essayai de m’éloigner de ceux qui frappaient le plus dur. Je
hurlai, pensant que j’allais mourir… A quoi servait-il de se battre ? »
A suivre
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