Haïti: Disparition de Frankétienne

La disparition de Frankétienne, l’icone haïtien.

Culture
Le poète Frankétienne, pilier d’Haïti et volcan du verbe, est mort
Disparu à l’âge de 88 ans, l’écrivain et peintre, régulièrement cité pour le Nobel, laisse son île natale orpheline de son plus grand créateur.

Par Valérie Marin La Meslée

Publié le 21/02/2025 à 13h30

Le poète Frankétienne sur la scène de la Bibliothèque nationale d'Haïti, il y a dix ans.
Le poète Frankétienne sur la scène de la Bibliothèque nationale d'Haïti, il y a dix ans. ©️ Fabienne Douce
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Aimer. Voilà « le » mot qui nous vient pour parler de Frankétienne, disparu ce jeudi 20 février à Port-au-Prince. « Ma ville matrice / ma ville tapage / haussant la mise en page de mes nuits de terreur / quand violemment j'écris », ainsi évoquait-il la capitale haïtienne dans Rapjazz (Mémoire d'encrier). Recouvrant aujourd'hui son île d'un soleil noir, il en fut – et restera – le pilier, le « mapou », comme on dit dans sa culture.

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L'écrivain et peintre, né le 12 avril 1936 à Ravine Sèche, sous un nom qui est déjà poème, Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d'Argent, a passé son existence à vivre en amour avec Haïti, avec les mots, avec les gens. Son père, un industriel américain, avait violé sa mère, paysanne encore adolescente qui l'a élevé, et l'enfant de cette violence n'aurait de cesse, pour elle, de la réparer en œuvrant pour « la belle amour humaine », selon les mots de son aîné Jacques Stephen Alexis.

Créateur protéiforme, il se bat avec la langue pour dire la quintessence de sa terre. Son immense douceur sous le cri de ses poèmes (lire son Anthologie secrète, chez Mémoire d'encrier) irradiait son visage de vieux sage à la barbe blanche, que l'on venait visiter pour reprendre des forces et qui ne ménageait pas les siennes sur les scènes où il se produisait, en de joyeuses exhibitions.

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Régulièrement nobélisable, il cultivait la mégalomanie au second degré, mais, au quotidien, était au plus proche des siens, s'étant donné corps et âme pour l'éducation de son peuple, créant une école dans le quartier populaire du Bel Air, longtemps devenue zone de non-droit, dont les habitants lui remirent une plaque « honneur et mérite » : mon « Nobel à moi », confiait-il dans ce grand rire qui s'assortissait de paillettes de joie dans ses yeux clairs.

« Dezafi », un des tout premiers romans en créole
L'œuvre de Frankétienne, volcan du verbe, ne se trouve pas dans toutes les librairies. Il est pourtant l'auteur d'une cinquantaine de livres, Ultravocal, L'Oiseau schizophone, Mûr à crever, publiés notamment par la maison Vents d'ailleurs, par Jean-Michel Place et, bien entendu, chez son éditeur haïtien de Montréal, Mémoire d'encrier.

Frankétienne écrivit un des tout premiers romans en langue créole, Dézafi (1975), et peignait chaque jour des tableaux qui se vendaient comme des petits pains. Membre actif du mouvement littéraire spiraliste dans les années 1960, lauréat du grand prix de la francophonie de l'Académie française en 2021, il venait d'achever un nouveau livre, lui qui, chaque fois, vous annonçait que l'écriture, c'était fini !

Quand sa ville fut terrassée par le tremblement de terre, en 2010, tout Port-au-Prince cherchait son grand poète. C'est à Haïti que l'on pense, l'île qu'il n'a jamais quittée au plus fort de la dictature duvaliériste, résistant dans sa maison forteresse. Sur un des piliers de cette demeure qui avait résisté au séisme, où il vivait avec sa tendre épouse Marie-Andrée, il avait écrit ceci, mots-héritages d'une vie de création, de révolte, de passion et d'amour : « S'il arrive que tu tombes / apprends à chevaucher ta chute / que ta chute devienne ton cheval / pour continuer le voyage. » Le voyage continue, Frank.

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« L'homme, je l'ai connu lorsque j'étais enfant, il publiait à peine ses premiers recueils de poèmes. On habitait la même rue au Bel Air, j'allais acheter du pain à la boulangerie de son beau-père. Il était fou amoureux, m'avait-il révélé, d'une cousine de ma mère. Parfois, il nous laissait monter à la terrasse du dernier étage de son collège, d'où l'on pouvait admirer la baie de Port-au-Prince, un kilomètre plus loin. Il passait plaisanter parfois avec mon oncle et d'autres peintres, à qui il laissait, en période de vacances, une pièce de l'école comme atelier. »
Pour en savoir plus : voir le documentaire que lui a consacré Arnold Antonin, Traversée des mondes de Frankétienne. Écouter Chaophonies, qu'il a enregistré avec le musicien Mark Mullholland. Et le podcast consacré à Frankétienne, nous recevant chez lui, avec Dany Laferrière, en 2011.
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