L’Organisation des Nations-Unies : Le droit de tuer impunément au nom de l’immunité!


L’Organisation des Nations-Unies : Le droit de tuer impunément au nom de l’immunité! Par: Francklyn B. Geffrard Est-il raisonnable que l’ONU évoque l’immunité diplomatique pour justifier son refus d’indemniser les victimes du choléra importé par ses soldats ? C’est désormais connu ; l’Organisation des Nations-Unies déclare irrecevable la demande d’indemnisation présentée contre elle par l’Institut pour la Justice et la Démocratie en Haïti (IJDH) et le Bureau des Avocats Internationaux (BAI), en novembre 2011, au nom des victimes de l’épidémie de choléra qui sévit depuis plus de deux (2) ans en Haïti. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’épidémie a déjà fait près de 8.000 morts, et infecté plus de 630,000 personnes depuis Octobre 2010.Une vraie catastrophe dans un pays où les conditions et infrastructures sanitaires sont inadéquates. L’épidémie du choléra s’est déclarée à un moment où le pays était frappé par le plus grand cataclysme de son histoire et peine encore à être reconstruit. Selon un bilan officiel communiqué par l’administration de l’ancien président Préval, le séisme du 12 Janvier a fait 300,000 morts, 1.5 million de sans abri, 250,000 habitations détruites et des dégâts matériels évalués à plus de 14 milliards de dollars.

L’annonce du refus d’indemniser les victimes a été faite le jeudi 21 Février 2013 par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon. L’Organisation s’appuie sur la section 29 de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies pour rejeter la demande des victimes du choléra. Voici ce que dit la section 29 de l’article huit (8) de la Convention sur les privilèges et immunités de l’ONU qui a été approuvé le 13 Février 1946, « L'Organisation des Nations Unies devra prévoir des modes de règlement appropriés pour: a. Les différends en matière de contrats ou autres différends de droit privé dans lesquels l'Organisation serait partie; b. Les différends dans lesquels serait impliqué un fonctionnaire de l'Organisation qui, du fait de sa situation officielle, jouit de l'immunité, si cette immunité n'a pas été levée par le Secrétaire général (Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies – 1946, Nations-Unies).»Nulle part dans cette convention, il n’est dit que les Nations-Unies sont autorisées à recruter des soldats malades qu’elles les déploient dans un pays en proie à toutes les difficultés pour contaminer impunément sa population. C’est une injustice flagrante d’évoquer la section 29 de la Convention sur les privilèges et immunité pour ne pas accorder réparation aux familles victimes de l’épidémie importée.

Comme pour ironiser les Haïtiens, « Le secrétaire général réaffirme qu'il est extrêmement sensible aux terribles souffrances causées par l'épidémie de choléra et demande à tous les partenaires présents dans le pays, ainsi qu'à la communauté internationale, d'œuvrer ensemble afin que les conditions de santé s'améliorent pour le peuple haïtien, et qu'un avenir meilleur s'ouvre à lui. » Si Ban Ki Moon était sensible aux souffrances du peuple Haïtien, il aurait pris les dispositions nécessaires en vue d’indemniser les victimes. Ce serait justice. C’est une honte pour l’ONU de vouloir systématiser, elle aussi, l’impunité en Haïti, cet Etat de la Caraïbe où la majorité de la population vit dans des conditions exécrables. C’est dans ce pays que les Nations-Unies s’accordent les privilèges et immunités de tuer impunément.

Est-il raisonnable que l’ONU évoque l’immunité diplomatique pour justifier son refus d’indemniser les victimes du choléra importé par ses soldats ? Les Nations-Unies qui depuis l’invasion de l’Irak par les Américains ne jouissent pas d’une très bonne réputation dans le monde, à travers cette décision, viennent d’assener un sévère coup à leur propre image déjà très discréditée. D’ailleurs, certains diplomates ayant requis l’anonymat ont avoué leur déception après cette annonce au siège de l’Organisation à New-York. Ils estiment que cette décision pourrait avoir un effet désastreux sur l’image de l’ONU. Pourtant, les Nations-Unies se veulent protectrices des droits humains. Une telle décision ne contraste-t-elle pas avec la vision et la mission de l’organisation qui se propose de maintenir la paix et la stabilité en Haïti ? Il ne fait aucun doute, l’ONU sait très bien qu’il est impossible de garantir un climat de paix dans un pays où l’injustice remplace la justice. Là où les droits fondamentaux d’un peuple sont bafoués et violés systématiquement, on ne peut espérer que frustration et colère. Et quand ces deux éléments s’accumulent, la suite ne peut être autre chose qu’une menace réelle pour la paix et la stabilité.

Qui est responsable de l’introduction du choléra en Haïti ? Jusqu’ici l’ONU n’a jamais reconnu sa responsabilité dans l’introduction et la propagation du choléra en Haïti. Cependant, plusieurs rapports d’experts ont attribué l’origine de la maladie à des casques bleus népalais déployés en Haïti. Par exemple, dans le rapport de l’épidémiologiste français qui a conduit une mission d’investigation du 7 au 27 Novembre 2010 en Haïti à la demande du ministère Haïtien de la santé, on lit ce qui suit : « La présence de tuyaux provenant d’une fosse septique du camp de la MINUSTAH et déversant un liquide noirâtre dans la rivière avait aussi été notée par l’équipe d’épidémiologie du département du Centre, ainsi que par des médecins dépêchés par la MINUSTAH, lors des premières investigations effectuées à partir du 19 octobre (cela m’a été expliqué lors d’une entrevue organisée par les responsables de l’ONU). Enfin, le rapport écrit et l’interrogatoire des habitants de *Meille confirment que des tuyaux, aujourd’hui retirés, avaient été installés pour évacuer les eaux usées du camp vers la rivière.

Lors de l’entretien que j’ai pu avoir avec les médecins qui avaient été dépêchés par la MINUSTAH, le 21 octobre, j’ai eu indirectement confirmation de la présence de ces tuyaux, puisque ces médecins ont indiqué qu’un prélèvement environnemental (qui s’est avéré négatif) avait été effectué au débouché de ces tuyaux. » Se basant sur le rapport d’enquête du professeur Piarroux, il est évident que le choléra a été introduit et propagé par des soldats en provenance du Népal à la demande des Nations-Unies pour participer à la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH).

Il n’y a pas que le rapport du docteur Piarroux à avoir établi la responsabilité de la MINUSTAH dans la contamination des Haïtiens. En octobre, une étude réalisée par les Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC) d’Atlanta avait déjà conclu que la bactérie du choléra en Haïti était de souche sud-asiatique. Et le pays incriminé, c’est bien sûr le Népal qui est réputé pour des pics récurrents de choléra chaque année. A en croire les différents rapports d’investigations menées sur la question, la maladie est apparue quelques temps après l’arrivée au pays d’un contingent de soldats népalais venus de Katmandou où le choléra faisait rage.

Parallèlement, Le rapport du Groupe d'experts indépendant chargé d'enquêter sur l'origine de l'épidémie de choléra en Haïti publié le 5 Mai 2011, conclut que cette épidémie a été causée par la confluence de plusieurs circonstances et n'était pas la faute, ou n'était due à l'action délibérée d'un groupe ou d'un individu. N’ayant pas le courage de préciser les responsabilités de la MINUSTAH dans l’introduction du choléra en Haïtiles les experts des Nations-Unies ont préféré entretenir le flou sur la question. Ils se sont donc livrés à des considérations générales.

Un spécialiste américain du choléra, le Dr Daniele Lantagne, a déclaré, après avoir étudié de nouvelles données scientifiques qu'il est maintenant «plus probable» que la source de l'éclosion était un camp de soldats récemment arrivés du Népal - un pays où le choléra est répandu. Il faut souligner que le Dr. Lantagne a été employé par l'ONU elle-même en 2011 comme l'un des plus éminents experts mondiaux sur la maladie. Il n’y a donc aucun doute sur les porteurs du génome ayant contaminé les Haïtiens.

En plus de son échec à créer un climat sûr et stable en Haïti, la MINUSTAH constitue un fardeau pour les Haïtiens, une source de malheur pour le pays. La MINUSTAH dispose d’un budget de 648 394 000 dollars. Ce Budget a été approuvé pour l’exercice allant du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013 (MINUSTAH). Considéré comme des touristes spéciaux, les membres de la MINUSTAH sont souvent remarqués sur les plages haïtiennes où ils se la coulent douce alors que les kidnappeurs continuent d’endeuiller les familles haïtiennes sans s’inquiéter.L’ONU qui est vue et perçue, depuis un certain temps, comme un instrument aux mains des grandes puissances se décrédibilise davantage. Le comportement des Nations-Unies viole le principe de l’égalité des droits de ses Etats membres. Tout comme la Société des Nations, l’ONU est en train de faire fausse route et risque de connaitre le même sort.L’Organisation des Nations-Unies avu le jour à la fin du conflit le plus sanglant de l’histoire de l’humanité, la seconde guerre mondiale qui a fait 50 millions de morts. En créant cette organisation, les forces alliées voulaient mettre en plan un outil plus apte à prévenir une troisième guerre mondiale. L’ONU a remplacé la SDN (Société des Nations),organisation internationale créée par le traité de Versailles (1919) et qui a siégé à Genève de 1920 à 1946. La SDN devait garantir la paix dans le monde, mission dans laquelle elle a échoué.

Selon l’article premier de la charte des Nations-Unies, les buts de l’Organisation sont les suivants : « Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix.» Les décisions injustes adoptées contre certains Etats membres peuvent-elles contribuer à maintenir la paix et la stabilité ? Il est évident que le refus de l’ONU d’indemniser les victimes du choléra va sans doute raviver le sentiment anti-MUNISTAH de bon nombre d’Haïtiens. Qu’on n’oublie pas que les Haïtiens se sont toujours montrés hostiles à la présence de la MINUSTAH qu’ils assimilent à une force d’occupation.

Les complices de l’ONU dans son refus

Il est clair que la MINUSTAH est responsable de l’introduction de l’épidémie de choléra en Haïti. Cependant, quant au refus de l’ONU d’indemniser les victimes, il ne faut pas blâmer seulement l’organisation mondiale qui fait preuve d’une immoralité insoutenable dans le cadre de cette affaire. Le principal complice des Nations-Unies, c’est le gouvernement Haïtien qui s’est toujours abstenu de fixer clairement la responsabilité de la MINUSTAH dans la contamination des Haïtiens. Au contraire, les autorités ont même pris fait et cause pour la MINUSTAH, cherchant même à la dédouaner de ses responsabilités pourtant clairement établies par plusieurs rapports d'experts. Par exemple, voici ce qu’a déclaré le 18 Octobre 2012 le ministre haïtien des affaires étrangères, Pierre Richard Casimir lors d’une audition devant la Commission des Affaires Etrangères de la Chambre des députés : «Le gouvernement Haïtien n’interviendra pas auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour obtenir justice et réparations pour les 7000 morts et les près de 700,000 personnes qui ont été hospitalisées à cause de l’épidémie du choléra introduite en Haïti par le bataillon népalais de la MINUSTHA (Radio Kiskeya).»IL est clair que le gouvernement se range du côté des occupants. Aucune note de rectification n’a été publié ni par la primature, ni par la présidence pour se démarquer des déclarations à la fois légères et profondément irresponsables du ministre des affaires étrangères. N’est-ce pas une position anti-haïtienne ? Cette attitude ne participe-t-elle pas d’un complot contre les intérêts du pays ?

Et ce n’est pas tout. Pierre Richard Casimir qui a malgré tout conservé son poste au gouvernement lors du remaniement ministériel effectué le 22 Janvier dernier va plus loin dans ses excès de zèle pour défendre la MINUSTAH. Toujours lors de son audition par la commission des affaires étrangères, il a déclaré sans gêne que : « Si les études scientifiques menées ont établi que la souche de la maladie est asiatique, en revanche, il n’a pas été démontré la responsabilité des soldats népalais dans une relation de cause à effet (Radio Kiskeya).» Un coup dur porté aux Haïtiens par leur propre gouvernement. D’où viennent ces hommes et femmes qui dirigent le pays ? Sont-ils des Haïtiens ?

Au-delà de Pierre Richard, il faut voir l’ensemble du gouvernement dans le boycottage du dossier des victimes du choléra. Le président Martelly et le premier ministre Laurent Lamothe sont intervenus à plusieurs reprises à la tribune des Nations-Unies ; mais pas une fois ils n’ont mentionné le rôle de la MINUSTAH dans l’introduction du choléra en Haïti. Ils n’ont jamais agité la question. Ce n’est apparemment pas une priorité de l’administration « Tet Kale » dont le souci majeur aujourd’hui semble de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. Ils doivent se rappeler que si le choléra décime la population haïtienne, il n’y aura plus de pays à diriger et que la logique du pouvoir ne tiendra plus.

Il y a aussi la société civile organisée qui s’est abstenue de prendre position dans cette affaire. A part quelques rares organisations des droits humains, la majorité des organisations qui se réclament de la société civile n’ont pas soutenu la démarche de l’IJDH et du BAI. Il était clair que cette démarche aurait très peu de chance d’aboutir sans un accompagnement effectif de l’Etat Haïtien et de la société civile. Si l’ensemble de la société était mobilisé derrière cette affaire qui est une cause nationale, les Nations-Unies n’auraient pas d’autres choix que de négocier un contrat d’indemnisation avec les avocats des victimes.

(*Meille : Une localité située dans la commune de Mirebalais, dans le département du Centre)

Francklyn B. Geffrard

Centre International d’Etudes et de Réflexions (CIER)

Posted on:3/7/2013

Vol. 6 • No. 34 • Du 6 au 12 Mars 2013

Source: Journal Haiti Liberté

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