Edito: Election, le nouveau tabou haïtien ! Et qui rend folle la classe politique haitienne
Par Raoul Lorfils, Jr
Election, le nouveau tabou haïtien.
Et qui rend folle la classe politique haitienne !
Bon nombre des candidats ayant participé aux élections du 25 octobre se disent gagnants dès le premier tour. Alors qu’en réalité, logiquement, ils ont tous perdu à l’avance pour avoir accepté de s’embarquer dans ce navire de fortune, kannòt koule, vwal chire, avec des pilotes en qui ils n’avaient et n’auront aucune confiance.
Ils n’arrêtaient pas de décrier les mauvaises conditions à la « Boat People » dans lesquelles ils s’apprêtaient à traverser la mer rose. Mais ils n’avaient ni l’énergie ni l’adrénaline patriotique nécessaire pour se jeter à l’eau, tous ensemble, et arrêter le matelot avant qu’il ne soit trop tard.
Au contraire, même après le premier naufrage programmé du 9 août, nous nous sommes (pour ne pas dire ils se sont) tous bandés les yeux et nous nous sommes remis à notre course:
« tèt dwat ! » et « a delante ! ».
Aujourd’hui, aussi paradoxale que cela puisse paraître, à côté des cris de victoire anticipés, encore une fois tous les termes formant le lexique politique haïtien depuis des décennies sont au rendez-vous: « Bourrage d’urnes, magouilles systémiques, fraudes massives, coup d’Etat électoral, mascarade électorale, dap-piyanp électoral, kadejak électoral et cetera électoral ».
L’on se demande combien vaudront tous les lots de dénonciations et les doléances des protestataires (candidats, partis politiques, organisations d’observation et organismes des droits humains) contre les propos de satisfaction du CEP, du Gouvernement et de l’International sur le déroulement des joutes, si l’acteur principal qui est le peuple haïtien, préfère se complaire dans son silence attentiste. Un silence justifié par les nombreuses déceptions qui lui ont été infligé par les politiciens auxquels, une, deux, trois jusqu’à cent fois, il a accordé son vote de confiance. Peut-être, le peuple, désenchanté, recourt-il à ce silence comme l’ultime arme par laquelle il infligera une sanction sociale, politique et correctionnelle à la classe politique haïtienne.
« Depuis fin 1995, il n’y a pas eu de vrai mouvement de mobilisation sociale en Haïti, » a lâché, quelques jours après les élections, le Professeur Fritz Dorvilier, à l’espace Intérêt Public de Radio Kiskeya. Il a poursuivi : « Il y aura un second tour après les élections du 25 octobre et, au vu et au su de tous, un Président en sera élu et sera installé en 2016… »
De son côté, le journaliste commentateur Jean-Monard Métellus a soutenu, le 3 novembre, lors son émission Intersection, que « les résultats partiels qui vont sortir après ce premier tour n’auront rien à voir avec les données dont accouchera le Centre de Tabulation. » Selon lui, ceux qui disputeront le second tour sont ceux qui, aux yeux de Tonton Blan et d’autres acteurs, sont les plus réputés pour leurs capacités de rassembler, entendez par là la capacité d’organiser des déferlantes pouvant paralyser le pays pendant plusieurs jours, comme cela a toujours le cas par le passé.
Or nos leaders auraient pu réussir à (nous) éviter ce carrefour troublant s’ils s’étaient convenus, pendant qu’ils en avaient encore l’occasion, de mettre de côté leurs intérêts personnels ou claniques et « former un vrai faisceau patriotique pour une vraie cause, noble et nationale » comme ils le chantent tous (Dieu seul sait combien le pensent vraiment).
Mais ils ne l’ont pas fait.
Au contraire, à l’approche des élections (ou du Grand Voyage), même ceux qui s’étaient regroupés au sein de l’opposition pour mobiliser contre la gestion et les projets douteux de l’équipe au Pouvoir se sont divisés pour aller se faire couronner, chacun dans son petit coin de Royaume, oubliant ce qu’ils avaient pu réaliser ou provoquer ensemble : Signature de l’Accord d’El Rancho, Création de la commission Présidentielle, Départ du Premier Ministre Laurent Lamothe, Mise en place d’un autre Gouvernement, Création d’un CEP selon l’esprit de l’article 289 de la constitution etc.
Ils n’ont même pas eu le temps de dresser leur bilan et nous assistions déjà à une rapide mise en miette de l’opposition et une prolifération ou « djondjonnizasyon », pour répéter l’autre, de plateformes, de partis politiques et de candidats.
Des rois à chaque coin de rue. Il nous a été donné de suivre le déroulement d’une véritable saga à la « Game Of Thrones » sur le sol d’Haïti.
Et nous voilà aujourd’hui face au « Présent » qui, hier, était le futur que redoutait tout le monde. Un projet dont chaque acteur a consciemment ou inconsciemment contribué à la réalisation. Nous sommes en fin de compte comme en présence d’une bande de poissons qui se sont gentiment laissés rouler dans la farine pendant 4 ans et qui brusquement décident de se réveiller pour contester, juste au moment où on allait les plonger dans l’huile ardente, à l'heure de vérité.
On peut facilement s’imaginer les toasts et les fous rires des tenants du titre aux cranes rasés face à tant de vacarmes. Ils sont dans la cuisine, c’est eux qui préparent tout et, croyez-moi, ils ne plaisantent pas.
Le pays est encore une fois aux abords du chaos. Et cette fois-ci nous risquons tous d’en sortir K-O.
Enfin des élections… et rares sont ceux qui accepteront de perdre (qu’ils aient perdu ou pas).
La situation se dégénère de plus en plus à un moment il pleut des Décrets, des taxes, des allocations injustifiées et injustifiables, des frustrations, des annonces de grèves, des pressions, des reports, des commissions, des communiqués de Presse, des suspens meurtriers et aussi des soldats étrangers…
« Elections ! » C’est devenu un mot dont la seule prononciation fait trembler jusqu’aux entrailles. C’est en passe d’entrer dans le tableau des sujets tabous de chez nous.
On nous apprend qu’en Démocratie, à l’issu de cet exercice, le seul et l’unique gagnant devrait être le peuple. Mais ici nous avons notre propre réalité, notre propre soleil, notre propre monde.
Tractation, gesticulation, manipulation, accusation, dénonciation, manifestation, pression et mise en garde servent de décor à l’environnement politique haïtien encore une fois et nous revoilà à la case-départ.
Il commence à pleuvoir des demandes de visas et également des propositions de sortie de crise dont la plus frappante est la Transition ! Tout en recherchant la meilleure formule devant épargner le pays d’un drame sanglant, définitivement, peu sont ceux qui accepteront de perdre les élections pour que le Pays gagne, surtout ceux qui risquent d’avoir quelques conversations avec la Justice s’ils ne sont pas au Pouvoir.
Au bout du compte, peut-être que tous les perdants finiront par gagner d’une manière ou d’une autre. Et encore une fois, peut-être que le peuple sera le seul perdant dans son propre jeu, sur son propre terrain...
Raoul Junior LORFILS
Haïti Connexion Network (HCN)
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