Pages retrouvées:L’Armée d’Haïti : autopsie d’une institution
Par Dr Eddy Arnold Jean
13/10/2011
Comme la race des humains, les institutions ont la vie dure. Celles qui disparaissent au fil de l’histoire doivent leur extinction à l’absence de véritables valeurs morales et de compétences individuelles des populations toujours désarmées face aux tentations de l’absolutisme. L’armée en tant que balancier de la vie nationale, a souvent réagi pour mettre un terme aux dérives politiques dont foisonne l’histoire des nations qui se cherchent. Elle diffère des autres organisations en ce qu’elle est une institution totale ou presque fermée. Même quand c’est avec les civils qu’on fait généralement les militaires, le métier des armes n’est pas une profession semblable aux autres. Cependant, la distinction entre civils et militaires, fortement valorisée, ne privilégie nullement la fonction discriminatrice et unificatrice du port de l’uniforme. Elle doit plutôt être compensée comme un prolongement du parcours sociopolitique de chaque citoyen conscient de son appartenance à une entité plus large appelée : « Pays, Patrie, Nation »
L’Armée d’Haïti peut-elle se constituer comme un obstacle majeur à l’émergence d’un système démocratique ? La question a toujours été posée sans que l’on fasse même valoir des propositions de réponse en regard de l’histoire de notre pays et d’une tradition de coup d’État inaugurée dans les années 40. Ainsi, en deux occasions, l’armée fit irruption sur la scène politique nationale pour donner suite à des options politiques dont la force motrice se trouvait en dehors des Forces Armées. De 1957 à la chute de Jean-Claude Duvalier, celles-ci restèrent cantonnées dans leurs casernes pour n’en sortir qu’à l’occasion des invasions de rebelles.
Des militaires haitiens se rejouissent après leur putsch contre le président Aristide en 2004 |
Toutefois, en 1986, débuta le cycle d’instabilité politique dans lequel les militaires devinrent tant soit peu des acteurs déterminants dont le rôle grandissant porte les autres compétiteurs pour le pouvoir à prendre en considération ce qu’un spécialiste des sciences politiques appelle « le politicien armé » Plus que ses rivaux, celui-ci a le grand avantage de pouvoir, avec plus de rapidité et de façon inattendue, modifier ses finalités et déterminer de nouveaux adversaires préférentiels.
Historique de l’Armée
L’Armée est un instrument de répression au service d’un pouvoir fort. A ce compte, elle n’a pas trahi ses origines. Cette création des Américains supportait presque servilement les forces d’occupation comme on en a vu dans le Nicaragua des années 30. D’abord « Gendarmerie », ensuite « Garde d’Haïti » : ces noms ne pourraient faire oublier que ces soldats formés par les U.S.A étaient plutôt spécialisés dans la torture pratiquée sur des civils désarmés; on en a pour preuve le massacre de Marchaterre. En 1934, quand Vogel devait remettre la garde d’Haïti aux autorités de l’époque, l’officier américain tint à l’endroit de Démosthène Calixte, le premier commandant de la Nouvelle Armée, ce langage qui donna la mesure de l’instruction donnée à nos militaires. « Je vous remets la garde d’Haïti, dit-il, avec elle vous pouvez faire beaucoup de bien, et vous pouvez faire aussi beaucoup de mal ».
Cette armée n’a jamais été malheureusement un corps de métier. Et c’est à ce niveau que le bât blesse. D’ailleurs, elle ne tardera pas à s’agiter et à vouloir jouer les premiers rôles. Survint alors le premier coup d’État contre Vincent. Les militaires n’avaient pas suffisamment médité l’irruption sur la scène politique nicaraguayenne d’un colonel créé de toutes pièces par les Américains : Anastasio Somoza. Bonicias Gracia Pérard est fusillé. Durcé Armand, Roger Dorsainville et Arthur Bonhomme arrêtés. Il semble qu’une page est bel et bien tournée, avec les trois glorieuses qui provoquèrent la chute d’Elie Lescot et l’entrée de l’Armée sur la scène politique haïtienne avec une junte composée de Lavaud, Levelt et Magloire. On était en 1946, et quatre ans plus tard, l’Armée devait récidiver en s’emparant du pouvoir. Une anecdote laisserait comprendre que François Duvalier aurait suffisamment manœuvré, pour dresser le président Dumarsais Estimé contre le colonel Paul Magloire. Dans son maquis, l’ex-ministre des Affaires Sociales d’Estimé veillait. La traversée du désert allait durer six ans. Et à la suite d’une césarienne effectuée par Antoine Th. Kébreau, Duvalier prit le pouvoir.
Et François Duvalier vint
Son élection à la présidence ne s’est pas effectuée sans problème. Elle a été précédée de turpitudes qui ont fait beaucoup de mal à l’Armée, divisée en officiers mulâtres et noirs. Les premiers sont acquis au sénateur Louis Déjoie. Recrutés dans les classes moyennes, les seconds sympathisent avec le docteur François Duvalier et Clément Jumelle, tandis que les sous-officiers et soldats sont tournés vers le petit enseignant de maths, démagogue, Daniel Fignolé. Voilà l’Armée éclatée. On a senti alors combien pèse le climat de suspicion en ce tristement célèbre 25 Mai où certaines factions de l’Armée entrèrent en action, détruisirent par leur comportement insolite ce que l’on appelle la fraternité des armes. Car, depuis la prise des casernes Dessalines par les Pasquet, Dominique et Perpignan, François Duvalier, dans le but de pérenniser son pouvoir, procéda à une basse œuvre de sape qui a vu le renvoi de l’Armée d’officiers non-duvaliéristes. Fermeture de l’académie militaire, promotion anarchique d’officiers sortis des rangs, institution d’une milice dévouée à sa personne ; tels sont les moyens utilisés par François Duvalier pour se maintenir au pouvoir. Pour contrebalancer l’influence de l’Armée dont Duvalier s’est toujours méfié, il fit fusiller dix-neuf officiers à la suite d’une mascarade de procès. On pouvait vraiment dire que Duvalier, en cette sombre journée de Juin, avait tenu la promesse qu’il avait formulée : enlever à l’armée son rôle de balancier dans les affaires nationales. La mutinerie des gardes-côtes prouva s’il en était besoin que le mutisme de l’Armée était plutôt pure feinte et qu’elle n’était pas aussi sage que Duvalier l’aurait souhaité.
Le crépuscule des mythes
De toute évidence, la mutinerie des gardes-côtes avait ouvert une brèche dans l’édifice duvaliérien. Seize ans plus tard, il allait s’écrouler. Le crépuscule des mythes avait sonné, en ce sept Février 1986, qui a vu le départ de Jean-Claude Duvalier. On ne dira pas assez que la chute du tyranneau avait été provoquée par l’armée, par des militaires inquiets de la gabegie administrative et l’incompétence manifeste du gouvernement des Duvalier, Lafontant etc. Le Général Henri Namphy assuma la présidence du Conseil National de Gouvernement formé de personnalités les plus en vue. Mais malheureusement, un pesant climat d’insécurité s’installa dans Port-au-Prince, dans Port-aux-Crimes, comme le président Louis Pierrot l’appelait. Et tout naturellement, les appétits furent débridés et la corruption gagna l’armée avec cette trilogie macabre : drogue, contrebande et crime. Le 29 Novembre 1987, ce fut l’hécatombe de la ruelle Vaillant, et le 11 Septembre 1987, l’Église St-Jean Bosco devint un théâtre où l’horreur et le crime se disputèrent.
Comme d’autres institutions du pays, l’armée haïtienne est l’une des grandes victimes du régime despotique de Duvalier. Pour l’édification des uns et des autres, il suffirait de rappeler le nombre de militaires portés disparus et passés par les armes durant cette période sombre de l’histoire nationale. Ainsi l’armée, ayant repris son souffle en 1986, a cru bon d’attiser la braise révolutionnaire et de participer à l’œuvre commune de “changement”. Le commandant en chef, le général Henri Namphy dans un suprême élan de candide euphorie, prônait la bamboche démocratique qui, en réplique directe à trois décennies de dictature inouïe, devait se muer en un véritable désastre. Zorba le grec aurait parlé de beau désastre. Car, ce que l’on souhaitait être la liberté réelle d’organiser des manifestations publiques était pratiqué avec un tel excès que la liberté était assimilée à la licence. La liberté de s’exprimer n’ayant pas connu de limitations aboutit au verbiage démagogique. Le retour immédiat dans leurs foyers des exilés, s’il est une mesure de réparation très opportune, n’en donna pas moins lieu à une politique sans faconde. C’est dans cet espace intervalle de “bamboche démocratique” que l’autorisation de fonctionner fut accordée au Parti Unifié des communistes haïtiens, que l’on assista à la prolifération des partis et groupements politiques, que fut créé le Conseil consultatif pour le partage du pouvoir, et convoquée une Assemblée Constituante pour la mise sur pied d’une Nouvelle Charte fondamentale plus ouverte et plus libérale. Pressée d’aller au devant de ces revendications justes et légitimes, l’armée ne faisait au contraire que creuser sa propre fosse. Bien plus, les nouveaux prétendants au pouvoir qui n’ont en aucun temps manifesté la moindre collaboration avec l’institution militaire s’acharnaient à réclamer des réformes au sein de l’armée qui était bel et bien infiltrée par des éléments subversifs, des toxicomanes.
Des analystes de la question haïtienne sur deux siècles d’histoire pensent que sans une transformation profonde au niveau des mentalités et des structures, l’armée serait alors incapable d’exécuter sa partition dans l’élaboration et la réalisation d’un projet de société démocratique. De toute façon, les Forces Armées posent un problème incontournable. C’est que l’État-major ou le Haut commandement se renouvelle constamment. Ainsi, chaque équipe de hauts-gradés qui arrive au pouvoir à la suite des coups d’État laisse l’impression d’ouvrir une étape différente de celle des prédécesseurs. On repart donc à zéro, sans faire valoir l’obligation d’un suivi qui aurait pour vertu de consolider les bases fragiles de l’État. Encore que les Forces Armées se retrouvent toujours dans l’avantageuse situation d’un acteur qui, sans scrupule aucun, peut faire tomber toute référence à l’histoire et imposer des vues qui le montrent souvent sous le jour d’un libérateur. La spécificité de la fondation de l’État haïtien plaide en faveur d’une vision qui tend à confondre l’Armée et la Nation.
Dans l’ensemble, les pouvoirs militaires qui se sont succédés depuis 1986 ont accusé une incapacité notoire à adopter des mesures économiques et à concevoir des projets clairs dont les finalités seraient pour le moins sans équivoque. De toute évidence, les généraux qui ont pris d’assaut le pouvoir tentaient toujours de s’y maintenir. Pour ce faire, ils érigèrent la corruption en système. Ce n’était donc pas étonnant que, sous le gouvernement du général Prosper Avril, le vol fut institutionnalisé4. D’ailleurs le président prêchait par l’exemple. Ainsi la Téléco, la Minoterie, le Ciment d’Haïti, l’EDH, l’OAVCT, l’OFATMA, l’ONA, l’APN, etc furent dès lors considérés comme propriétés privées du président général. On découvre cependant une constante au niveau de la gestion des affaires publiques par les gouvernements militaires. Ceux-ci, des fois, font appel à des collaborateurs civils dont la médiocrité évidente suffit à bloquer toute initiative et tout processus de changement.
Le général Prosper Avril devait connaître une chute tristement célèbre. L’histoire retient ce témoignage plein d’enseignements : tous les secteurs qui, à l’unanimité des voix avaient accueilli l’instauration de son gouvernement, finirent par se retourner contre lui. En plus, le bilan global de sa gestion est grevé d’hypothèques et lourd de ce passif qu’aucun gouvernement n’a encore dépassé. A l’inefficacité de sa politique économique s’adjoignit un manque de légitimité évident, puisque le général Avril a été porté au pouvoir à la suite d’un coup d’État contre son supérieur hiérarchique, et dont d’ailleurs l’opinion l’avait crédité. A deux ans près de sa gestion, il advint ce qu’on attendait le moins : celui qui passait ou se faisait passer pour un habile manœuvrier capable de faire et de défaire les gouvernements civils ou militaires quitta le pouvoir à la cloche de bois. Il fut d’ailleurs son propre fossoyeur. Car, il ne fit rien pour arrêter cette chute libre. En effet, les différents milieux liés aux activités éducatives et culturelles connurent les rigueurs de la discrimination et de la persécution qui dépassèrent en horreur tout ce qui s’était fait au cours des régimes précédents. Sous le fallacieux prétexte d’une épuration idéologique nécessaire, voire urgente, le soupçon et la répression décapitèrent les syndicats et les partis, et s’abattirent sur tout le pays. C’est à cette époque que furent rossés d’importants leaders politiques. Alors, des fonctionnaires triés sur le volet s’attelèrent à la tâche de désarticulation de l’économie et de déstabilisation de la situation existante. A cet effet de perversion, il compta sur la collaboration de tous ceux qui se croyaient en mesure d’occuper une place au soleil. Aussi, tentèrent-ils de rétablir l’ordre ancien dont les signes avant-coureurs ne trompaient pas : enlèvements, la mort du Colonel Jean-Claude Paul, disparitions de présumés opposants. Tel fut le lot quotidien d’un gouvernement qui ne croyait plus dans les vertus de la démocratie.
Le Nouveau commandement des FADH
Bénéficiaire de tout un concours de circonstances qu’elle n’a pourtant pas engendrées elle-même, l’Armée d’Haïti se retrouve aujourd’hui confrontée à un problème de survie institutionnelle. Après le coup de force constitutionnel du 30 Septembre 1991, au cours duquel elle a su donner sa pleine mesure face aux hordes lavalassiennes et aux wisigoths de la lune rouge, l’Armée s’assuma pleinement, en confiant les rênes d’un pouvoir pourtant acquis de haute lutte à des civils constitutionnellement pressentis et agréés. C’était dès lors marquer la rupture avec une tradition de pronunciamientos chère aux émules de Don Quichotte et de Sancho Panza. Ce faisant, l’Armée d’Haïti créa un précédent historique qui continue d’étonner le monde et de dérouter les analystes les plus chevronnés.
On ne peut ignorer que, durant les cinq ou six dernières années, l’institution militaire était en chute libre. Le général Henri Namphy, héritier du pouvoir du 7 Février 1986, joua comme il le pouvait, le rôle de chef d’orchestre et s’évertua à donner une apparence d’unité à cette institution qui s’en allait en lambeaux. Prosper Avril, le petit paysan de Thomazeau, lui asséna le coup de grâce. Et Jean-Bertrand Aristide, ti nèg Portail, la mit en terre par des mesures intempestives et des réintégrations inopportunes et illégales. Les inconséquences du président Aristide qui n’avait jamais caché son intention de substituer à l’Armée régulière son fameux corps des SSP, ont provoqué la démission du général Abraham, dernier rempart de la discipline et des hautes valeurs militaires. Le départ de ce dernier ouvrait la voie à toutes les dérives découlant d’un président malade qu’un complot international à ramifications internes propulsa au timon des affaires haïtiennes.
Pour certains secteurs politiques, le coup d’État du 30 Septembre avait soulevé une grande lueur d’espoir. Mais bien vite, l’espérance a été mise en berne. Car il ne s’agissait pas seulement de démettre un président, dont toutes les prises de positions convergeaient vers la création d’un État-partisan. Il importait surtout de remettre en question une certaine mentalité haïtienne et de remplir l’espace politique d’actes patriotiques aptes à indiquer les turpitudes d’un passé honni.
Rien n’est pourtant fait. Et l’espérance est mise en berne, parce que le présent réédite le passé, et l’actualité politique s’emplit de toutes ces vieilles habitudes qui grèvent d’hypothèques la vie nationale. C’est que ces militaires5 et ces hommes qui gouvernaient les destinées du pays, et auxquels était confiée la mission patriotique d’administrer la chose publique, accusaient dans la pratique une mentalité de fin du monde qui les prédisposait au sac des biens de l’État, voire à privilégier leurs intérêts au détriment de la communauté tout entière. Ils ont tué, se sont enrichis d’une façon tellement indécente et exagérée qu’il ne restait aux populations civiles que de transférer leur haine sur les petits soldats et sur l’institution militaire en général. Pendant ces trois dernières années, ils ont suivi et suivent la dérive dangereuse de la morale politique qui atteignit alors, le seuil de l’inacceptable. Leur passage au pouvoir, s’est traduit par une gabegie sans nom, ruinant le pays à un degré difficilement imaginable et rendant notre pays sinistré par une gestion menée en dépit du bon sens et le pillage des deniers publics effectués dans les règles. La situation ainsi créée, est d’autant plus dangereuse qu’elle provoque des frustrations au sein d’une population avide de changement. Il va de soi, que ces militaires sont détestés par tous ceux qui, ont subi les durs effets de l’embargo et par tous ces patriotes qui assistaient impuissants à la lente dégradation des valeurs militaires.
Depuis deux siècles près, on assiste à ces tristes spectacles où la monotonie est la règle. Chaque remaniement ministériel fait des millionnaires. Et la valse des ministres, c’est paradoxalement la valse des millions qui vont des caisses de l’État aux coffres d’une élite prostituée et pervertie, corrompue et corruptrice. L’approche de ces temps modernes qui devait composer avec l’évolution des esprits aiguise en contrepartie l’appétit de gains illicites et des fortunes faciles, de sorte que, face à cette démission qui ne va pas sans quelques conséquences fâcheuses pour l’avenir du pays, il demeure impérieux de moraliser les mœurs politiques.
Sujet lié: Dissolution ou non de l'armée d'Haiti (Mars 2016) http://ayiticherieconnexion.blogspot.com/2006/03/dissolution-ou-non-de-l-d.html
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