Un intellectuel en prison pour une blague de trop (genre faction*)
Un intellectuel en prison pour
une blague de trop
La jeunesse traquée sous le
régime duvaliériste
Dans les années
sombres du régime duvaliériste, un jeune intellectuel haïtien fut emprisonné
pendant plusieurs années. Cette incarcération intervint sans preuve, sans
jugement et sans défense. Son seul crime ? Être jeune, cultivé et curieux du monde, une
posture qui le rendait attentif aux inégalités omniprésentes. Il posait des
questions, lisait, partageait des idées. À cette époque, le régime assimilait
presque tous les jeunes à des “comos”, considérés comme des ennemis potentiels
de l’ordre établi.
Ce prisonnier
n’avait pourtant rédigé qu’un seul texte politique dans toute sa vie. Le reste
de son œuvre se composait de blagues, d’anecdotes et d’éclats de rire partagés
dans les couloirs de l’université ou sur le porche de sa résidence. Mais dans
un climat de répression féroce, même l’humour devenait subversif. Cette
brutalité, loin de choquer, semblait convenir au gouvernement américain de
l’époque, qui fermait les yeux sur les abus du régime. L’histoire de cet homme
est celle d’un silence imposé, d’une pensée muselée et d’un rire emprisonné : un symbole de la jeunesse sacrifiée sous
la peur d’un pouvoir paranoïaque.
L'une de ses blagues : Un geste interprété comme une
offense politique
Un jour, dans un
restaurant, cet homme bavardait librement avec son ami, abordant des sujets
variés. Face à eux, un grand portrait de Duvalier père ornait le mur. Au cours
de la conversation, l’homme qui se trouvait en face du portrait haussa les
épaules, un geste anodin qui n’avait rien à voir avec le portrait. Cependant,
un macoute présent dans le restaurant interpréta ce mouvement comme un geste de
mépris envers le portrait. Il
fut aussitôt arrêté et dénoncé à son supérieur pour ce geste supposément
subversif.
Une parenté et amitié marquées par la réflexion et l’humour
C’était
typiquement le genre de blagues et d’attitudes venant de cet homme, qui ne
faisait rien d’autre que les partager avec ceux dont il se sentait proche. Un
personnage remarquable, avec qui j’ai partagé une chambre et des réflexions
intellectuelles. Nos échanges se déroulaient sans arguments, sans volonté de
convaincre, simplement dans l’écoute, la discussion et le rire.
Pourquoi militer en Haïti dans cette deuxième moitié du vingtième siècle? Préface par Délano Gilbert du LIvre de Claude Rosier: Le Triangle de la mort. Journal d'un prisonnier politique haitien: 1966-1977
Pourquoi militer en Haïti dans cette deuxième moitié du vingtième siècle?
Avant comme après
1946, c'est tenter d'arracher Haïti des griffes de ces cliques de vampires qui,
de toutes les couleurs et sous toutes les dénominations, se sont succédées au
pouvoir, entraînant la ruine accélérée du pays.
Au nom de la paysannerie et de l'arrière-pays, ces pirates ont ruiné la campagne, laissant les producteurs sans routes, sans électricité, sans crédits pour développer et moderniser l'agriculture. Au nom de la bourgeoisie, ces pirates de toutes les couleurs ont bloqué l'industrialisation du pays, allant parfois jusqu'au massacre (Salomon), (Duvalier), pour remettre l'industrie et le commerce aux étrangers et autres assimilés.
Au nom de la classe moyenne ou des classes moyennes, ces pirates ont orchestré l'emprisonnement, le massacre, l'exil de dizaines de milliers de petits producteurs, de cadres et de professionnels.
Au nom du nationalisme, ces pirates ont vendu la dignité du pays. Ils ont offert, pour leurs poches ou leur pouvoir, des portions importantes du territoire national. Les Haïtiens à la mémoire courte ont, sans doute, oublié ces contrats d'un siècle, livrant un département entier à l'étranger, sol et sous-sol compris, les habitants, nouveaux esclaves, étant sous-entendus. Ces nationalistes, comme Duvalier, ont tué quatre fois plus d'Haïtiens que Rafael Trujillo, considéré comme l'archétype de l'anti-haïtianisme.
Les militants politiques de cette moitié du vingtième siècle, principalement ceux de la gauche marxisante ou chrétienne, rêvaient d'un idéal qui en les élevant, les coupait bien souvent de la réalité quotidienne et mesquine. Les conditions terribles de la lutte politique, illégale sous la dictature, le sectarisme, l'indiscipline et leurs terribles conséquences sont évoquées par Claude Rosier dans ce récit terrifiant de onze années dans les prisons de François et Jean-Claude Duvalier.
Les lecteurs, nos compatriotes, en particulier, pourront connaître ou se rappeler le prix payé pour parler de liberté et de démocratie en Haïti et penser à leur concrétisation dans le pays. Derrière le récit des malheurs et souffrances personnelles de Claude Rosier et de ses compagnons d'infortune, nous pourrons, tous, essayer d'évaluer le lourd, très lourd héritage de la lutte pour la démocratie et le bonheur du peuple haïtien qui ne date pas de 1990, ni de 1960, ni de 1946, ni de 1929.
Délano Gilbert
Un homme de bien qui a traversé la vie à sa manière", a dit l'un de mes amis qui connaissait aussi Délano. Encore une fois, nos profondes condoléances à la famille toute entière ! -- Carl & Ghislaine Gilbert
* Genre faction : Définition de la faction. La faction est un terme utilisé dans l'écriture créative et journalistique pour décrire des œuvres qui combinent de manière fluide des informations factuelles avec des éléments fictifs. Ce genre permet aux auteurs d'explorer des événements historiques, des personnages et des questions sociales tout en incorporant des techniques narratives
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